Pile ou face [nouvelle hasardeuse]

Publié le par C.I.M



La pièce tourne dans les airs, lourde de significations. C’est une pièce de vingt centimes, sale, crasseuse, un peu comme toutes les pièces de petite monnaie, qu’il aurait tant aimé donner à sa boulangère, celle qui a ce si beau sourire, contre un pain chaud, ou un petit croissant à tremper dans son café matinal, qu’elle lui aurait donné avec joie, en lui disant « Bonne journée ! », avec un chaleureux sourire. Mais au lieu de cela, c’est cette pièce qui va décider de son Destin lui-même. Pile : il meurt. Face : il vit. Quitte ou double. Pile ou face. Il a toujours détesté ces choix manichéens, mais aujourd’hui c’est différent. Aujourd’hui n’est pas un jour comme les autres. Car aujourd’hui c’est le jour où Elle est partie. Définitivement.


Elle est partie de sa vie comme elle y est entrée : en ouragan. Un ouragan d’une beauté terrible, magnifiquement intimidant. Après avoir fait sa connaissance, il avait appris qu’Elle avait toujours été comme cela, déchaînée, presque incontrôlable. Mais, bizarrement, ce cyclone capable de concurrencer bien des tempêtes tropicales, avait donné l’impression de se calmer, pendant une courte période, comme pour une brève accalmie. Mais ce n’était que le calme avant la tempête, et Elle était repartie, plus forte, et plus dangereuse, que jamais. Elle est sortie de sa vie, à jamais, sans se douter des dégâts qu’Elle avait pu causer en son cœur, des dégâts irréparables.



* * *

Il se sont rencontrés… quand se sont-ils rencontrés déjà ? Il peine à le savoir. Sa présence était devenue tellement… « normale » qu’il doutait qu’Elle ait été autrefois étrangère à son monde, et il lui était encore difficile d’imaginer qu’Elle était réellement partie. Ah ! Si ! Il se souvient ! C’était au mois de Septembre, un mois triste, froid, et humide entre tous. Et il pleuvait. Des torrents d’eau dégoulinaient du ciel surchargé, comme si les cieux avaient brusquement craqués sous le poids des tonnes d’eau qu’il contenait. Et il avait fallut que ce soit le jour où il oubliait son parapluie, tandis qu’il était dehors.


Alors qu’il tentait vainement de se protéger de la pluie avec son manteau, frêle rempart comparé à la densité de l’averse, il se souvenait parfaitement avoir entendu, sur le trottoir d’en face, un ricanement moqueur, hilare devant le piètre spectacle d’un homme impuissant face à Dame Nature. Il n’avait vu qu’un parapluie bariolé, agité de soubresauts, comme ceux de quelqu’un qui rit à ne plus pouvoir s’arrêter. Il avait bondi aussitôt, s’apprêtant à affronter celui qui osait se moquer ainsi de lui, lui qui avait déjà tant de mal à rester sec. Lorsqu’il arriva, enragé, et près à corriger l’ennuyant, il entendit une voix douce murmurer :

« Vous voudriez peut-être vous abriter ? »

Dès lors, il oublia entièrement ses idées de vengeance et de tortures machiavéliques afin de laver son honneur, totalement hypnotisé par cette voix. C’était Elle.


Elle qui allait lui faire vivre une passion sans limites, hormis celles imposées par le Temps. Elle qui allait lui apprendre à vivre, ce que sa mère aurait dû faire. Elle qui allait le faire souffrir en lui imposant son caractère farouche. Elle qui allait l’emmener dans les près et dans les champs. Elle. Elle. Elle. Et encore Elle.


Partie

* * *



Et à présent, le voilà aux prise avec ce choix draconien. Pile ou face. Il a déjà choisi, et il à peur du résultat. Car c’est un lâche courage que de se remettre au Hasard pour décider de son destin, bien que ce soit de la véritable bravoure que d’accepter ce choix.


Face, c’est la vie, et tous ses plaisirs : lire le journal, apprendre que la guerre a encore fait plus de mille morts parmi des civils innocents, se régaler devant un navet stupide, acheter son pain, faire la grasse matinée quand on le peut, et pester contre ceux qui vous font lever si tôt lorsque vous travaillez, et aussi regarder sans cesse le cadre avec Sa photo. Celle que vous avez prise alors qu’Elle vous aimait encore. Et qui vous tire des larmes à chaque fois que vous la regardez, avec un air de nostalgie, et d’une tristesse stupide.


Car il ne veut plus vivre. Il est las de vivre, de ce fardeau qu’on vous oblige à porter, et qui pèse chaque jour un peu plus sur ses épaules… Il aurait vingt fois préféré être un chien, pour pouvoir sans cesse quémander des caresses, que sa maîtresse lui aurait prodigué avec joie. Mais il est un homme, et Elle n’a jamais aimé ces démonstrations puériles d’amour, que lui affectionnait tant…

L’étincelle qui rendait sa vie un peu plus supportable à bel et bien disparue. A jamais.


Pile, c’est la mort, et la fin tragique de sa vie, dont il n’aura pu profiter que de vingt malheureuses années. Pile, c’est accepter de mourir pour quelqu’un qui vous a déjà oublié. Mais pourquoi vivre sans Elle ? Sans sa présence chaude, rassurante, la vie à perdu à ses yeux toute sa valeur, tous ses attraits. Mais une fois passé dans le royaume des morts, il ne pourra plus regretter son choix. Il ne sait pas vraiment s’il aura le courage de reprendre lui-même ce que Dieu lui à donné, dans sa perverse Bonté.


Car il ne sait pas s’il à envie de mourir, c’est un choix trop définitif. Trop sec, trop imparable. Que son père rirait s’il était encore de ce monde : lui qui a toujours couru après les jupons, il ne devrait pas comprendre que l’on puisse vouloir mourir pour une simple fille. Mais si on lui avait dit que son gamin voulait mourir pour une bécane, il aurait comprit…

Alors autant vivre, lui prouver qu’il en est capable, et sans Elle.


Car la pièce tourne, insensible à ses débats internes. Elle continue de virevolter, telle une virtuose aérienne, dans un vol terrible, qui décidera de sa vie, ou de sa mort. Pourquoi est-Elle partie ? La vie est si difficile…

Il tend une main, une main tremblante de peur, moite d’anxiété. Dans son dos coule le filet de sueur froide appelé Terreur. La pièce tombe avec un son sourd dans sa paume tendue. Il ferme la main, n’osant regarder. Lentement, il ouvre le poing.

Et il découvre le faciès rieur de la femme emblème de la France…







18/03/07-1/04/07

Pont de l’Arche

Iris

Publié dans Nouvelles

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